Rencontres du Cniel : la féminisation des métiers de la filière laitière
A l'occasion de la quatrième édition des Rencontres du Cniel, l'interprofession et sa présidente déléguée Marie-Andrée Luherne ont eu à cœur de mettre en lumière le sujet de la féminisation des métiers de l'amont laitier, enjeu important pour assurer le renouvellement des générations en agriculture. James Hogge, chef de projet "femmes en élevage" à l'Idele, Anne-Sophie Delassus, Louise Germain et Isabelle Petitpas, éleveuses laitières, Pierre-Yves Ginet, consultant en égalité et mixité professionnelles et Emmanuelle Coratti, fondatrice et déléguée générale de l'association Back To Earth, ont ainsi apporté leurs éclairages respectifs sur cette thématique à l'occasion d'une table-ronde. Ils ont abordé plusieurs questions centrales : pourquoi la féminisation des métiers est cruciale, qui sont les femmes qui s'installent en agriculture, quels sont les freins à l'installation et enfin, quels sont les leviers et chantiers sur lesquels travailler afin de renforcer la féminisation des métiers agricoles. Cette rencontre a par ailleurs été l'occasion de présenter les résultats de l'étude conduite par Back to Earth, nommée "Retour à la terre et féminin".
La féminisation, pourquoi ?
La féminisation des métiers agricoles représente bien plus qu’une réponse au renouvellement des générations. Engagées dans des initiatives collectives et soucieuses d’un meilleur équilibrer entre vie professionnelle et personnelle, les agricultrices sont souvent à l'origine d'adaptations des conditions de travail et d'évolutions ergonomiques. Ces innovations bénéficient à l’ensemble des travailleurs en permettant l’utilisation d’outils et de pratiques plus adaptés à tous, souvent conçus avec peu de prise en compte des besoins féminins.
Cet investissement dans la mixité est par ailleurs générateur de croissance économique. En moyenne, les organisations ayant investi sur la mixité et l'égalité des chances voient leurs performances croître de 20 %.
Qui sont ces femmes qui s’installent ?
Les femmes sont désormais bien présentes dans les études agricoles, mais elles accèdent au métier plus tard que les hommes. Les modes d’installation sont variés : reprise d’exploitation familiale, intégration de l’exploitation de leur conjoint, ou installation indépendante, qu’elles soient issues ou non du monde agricole. Ce choix d’installation répond pour beaucoup à une quête de sens (75 %) et à un désir de connexion au vivant (80 %), ainsi qu’à un projet d’indépendance entrepreneuriale (53 %).
James Hogge, chef de projet à l'Institut de l'élevage (Idele) a présenté quatre typlogies d’éleveuses :
- Les égalitaires empêchées : engagées pour l’égalité, elles restent contraintes par des normes sociales, la pression familiale ou un manque de formation.
- Les éleveuses traditionnelles : respectueuses de la répartition genrée des tâches, elles reconnaissent néanmoins le sexisme dans le milieu et souhaitent des progrès.
- Les égalitaires engagées : elles prônent une répartition équitable des responsabilités et remettent activement en question les normes de genre.
- Les agriculteurs-femmes : rompant les normes professionnelles mais pas domestiques, elles considèrent que les rôles des hommes et des femmes sont complémentaires.
Quels sont les freins rencontrés ?
Les freins rencontrés par les femmes dans la filière agricole vont au-delà de la simple pénibilité du métier. Le principal frein reste l’accès au foncier, puisque les exploitations familiales sont généralement transmises aux hommes. De même, les femmes sont souvent confrontées à des difficultés d’accès au financement. Le manque de solutions pour concilier vie personnelle et vie professionnelle (notamment pour le congé maternité et la participation aux instances de décision), ainsi que la conception non adaptée des équipements, posent également des défis importants. Enfin, le sexisme persistant dans le milieu agricole freine leur épanouissement professionnel et leur engagement dans les instances décisionnelles, souvent régies par des horaires peu conciliables avec leur emploi du temps.
Les chantiers à activer pour favoriser la mixité
Les leviers à activer pour favoriser l'accès des femmes en élevage sont nombreux :
- Améliorer le financement par les banques des projets portés par des femmes.
- Améliorer la représentativité des femmes dans la profession et rendre davantage visible les parcours, de la conception de supports pédagogiques à leur présence dans les instances représentatives.
- Développer des groupes en non-mixité, pour une période transitoire, tout en impliquant par ailleurs les hommes.
- Lutter contre les stéréotypes et communiquer dès le plus jeune âge sur les carrières agricoles.
- Accompagner la qualité de vie, l'ergonomie (en améliorant la conception des outils agricoles) et la maternité (en améliorant les services de remplacement).
- Faire évoluer la gouvernance des institutions du monde agricole.
- Soutenir l'accès des femmes à l'agriculture par un accompagnement et des ressources spécifiques.
- Améliorer la retraite des exploitants agricoles, afin de libérer du foncier.
- Rendre le métier plus rémunérateur.
Les intervenants ont souligné que ces actions doivent être coordonnées de manière systémique pour s’attaquer aux différents freins en même temps, garantissant ainsi une transformation durable du secteur.